Rattus Rattus

 

— Comment as-tu fait pour rentrer aussi vite ?

Il avait fallu tout l’après-midi à Nicko et Jenna pour retrouver leur chemin à travers le haar. Alors que Nicko avait passé tout ce temps à établir mentalement le classement des dix meilleurs bateaux sur lesquels il avait jamais navigué puis, la faim devenant plus pressante, à dresser le menu de son dîner idéal, Jenna s’était inquiétée de 412 et avait résolu d’être beaucoup plus gentille avec lui à l’avenir, à supposer qu’il ne se soit pas déjà noyé dans le fossé.

Aussi, quand elle avait fini par regagner le cottage, transie de froid dans ses vêtements imprégnés de brouillard, et avait trouvé 412 sur le sofa à côté de tante Zelda, l’air presque guilleret et content de lui, elle n’avait pas été aussi irritée que Nicko. Ce dernier avait grommelé quelque chose avant d’aller prendre un bain chaud. Jenna avait laissé tante Zelda lui frotter la tête pour la sécher, puis elle s’était assise près de 412 et l’avait interrogé.

Comme le garçon la regardait sans répondre, la mine contrite, elle fit une nouvelle tentative :

— J’avais peur que tu sois tombé dans le fossé.

La surprise se peignit sur le visage de 412. Il ne s’attendait pas à ce que la petite princesse se soucie de savoir s’il était tombé dans le fossé, ou même au fond d’un trou.

— Je suis contente de te voir sain et sauf. Nous deux, il nous a fallu des heures pour rentrer. On s’est perdus à plusieurs reprises.

412 sourit. Il avait presque envie de raconter à Jenna ses propres aventures et de lui montrer l’anneau, mais toutes ces années de dissimulation forcée lui avaient enseigné la prudence. La seule personne avec qui il avait jamais partagé un secret était 409, et même si quelque chose chez Jenna lui rappelait son ami disparu, elle n’en restait pas moins une princesse et, pire encore, une fille. Aussi préféra-t-il se taire.

Jenna remarqua son sourire et en fut ravie. Elle allait poser une nouvelle question quand tante Zelda s’exclama, d’une voix qui fit trembler ses flacons de potions :

— Un rat coursier !

Marcia, qui avait pris possession du bureau de Zelda, bondit sur ses pieds, saisit la main de Jenna et l’arracha au sofa.

— Hé ! protesta Jenna, choquée.

Sans plus y prendre garde, Marcia monta l’escalier deux à deux, la traînant derrière elle. A mi-chemin, elles se heurtèrent à Silas et Maxie, qui descendaient en hâte pour accueillir le rat coursier.

— L’étage devrait être interdit à ce chien, pesta Marcia en s’aplatissant contre le mur pour éviter les traînées de bave sur sa cape.

Dans son excitation, Maxie donna un grand coup de langue sur sa main et se précipita à la suite de son maître, non sans avoir écrasé le pied de Marcia avec sa grosse patte. Maxie ne prêtait guère attention à la magicienne. Il ne prenait pas la peine de s’écarter de son chemin et ne tenait aucun compte de ce qu’elle disait car, dans sa vision du monde, Silas était le chef de la meute alors que Marcia se situait tout en bas de l’échelle.

Heureusement pour elle, Marcia n’avait pas conscience des subtilités du raisonnement du chien-loup. Le poussant de côté, elle gravit les dernières marches, tirant toujours Jenna par la main pour l’éloigner du rat coursier.

— Pour... pourquoi faites-vous ça ? balbutia Jenna quand elles furent dans la chambre mansardée de tante Zelda.

— Le coursier, répondit Marcia, elle-même un peu essoufflée. Rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit d’un rat assermenté.

— Un quoi ?

Marcia prit place sur le lit étroit de Zelda, recouvert d’un assortiment de couvertures en patchwork, fruit de quantité de soirées solitaires au coin de la cheminée. Elle tapota l’édredon, invitant Jenna à s’asseoir près d’elle.

— Savez-vous ce qu’est un rat coursier ?

— Je crois, répondit Jenna d’un ton hésitant. Mais on n’en a jamais reçu à la maison. Je pensais qu’il fallait être quelqu’un de très important pour ça.

— Non. N’importe qui peut recevoir ou engager un rat coursier.

— C’est peut-être maman qui l’a envoyé, dit Jenna avec une note d’espoir dans la voix.

— Peut-être... ou peut-être pas. Nous devons nous assurer qu’il est bien assermenté avant de lui faire confiance. Un rat assermenté dit toujours la vérité et ne dévoile jamais les secrets qu’on lui confie. En outre, ses services sont extrêmement coûteux.

Dans ce cas, songea Jenna avec tristesse, il n’y avait aucune chance pour que Sarah leur ait envoyé celui-ci.

— C’est pourquoi vous et moi allons attendre ici, pour le cas où ce rat serait un espion venu s’enquérir de la cachette de la princesse et de la magicienne extraordinaire.

Jenna acquiesça lentement de la tête. Ce mot, princesse... Il la laissait toujours sans voix. Elle avait encore du mal à admettre qu’il la désignait. Sagement assise près de Marcia, elle promena son regard autour de la chambre.

Celle-ci était étonnamment vaste et claire. La petite fenêtre aménagée dans la pente du plafond offrait une vue étendue sur les marais enneigés. Le toit était soutenu par de grosses poutres robustes auxquelles était accroché un assortiment de ce que Jenna prit d’abord pour des tentes en patchwork, avant d’identifier les robes de tante Zelda. La pièce comportait trois lits. Jenna devina aux couvertures en patchwork qu’elles étaient assises sur celui de tante Zelda, alors que le lit tapissé de poils dans l’alcôve près de l’escalier devait appartenir à Silas. Le troisième, plus large, logeait dans une niche. Cette vision lui serra le cœur, car il lui rappelait son propre petit lit clos. Il était facile de deviner qui avait dormi dedans : L’Art de vaincre la Ténèbre était posé par terre près de sa tête, de même qu’un magnifique porte-plume en onyx et des feuilles de vélin extra-fin couvertes de symboles et de signes magiques.

Marcia surprit son regard :

— Vous pouvez essayer mon porte-plume. Il va vous plaire. Il écrit de la couleur que vous lui demandez - enfin, quand il est de bonne humeur.

Tandis que Jenna essayait le porte-plume de Marcia (lequel, d’un naturel contrariant, s’obstinait à tracer une lettre sur deux en vert criard), au rez-de-chaussée, Silas tentait de réfréner l’excitation qui s’était emparée de Maxie à la vue du rat coursier. Avisant son fils qui revenait de la cabane de bains, les cheveux encore humides, il lui lança, affolé :

— Nicko, tu veux bien retenir Maxie et l’éloigner de ce rat ?

Nicko et Maxie se ruèrent vers le sofa, provoquant le départ précipité de 412.

— Bon, où est passé le coursier ? demanda Silas.

Assis sur le rebord extérieur de la fenêtre, un gros rongeur brun frappait doucement au carreau. Après que tante Zelda lui eut ouvert, il sauta à l’intérieur et promena son regard vif et perçant autour de lui.

— Perlé, Rat ! ordonna Silas en langage magique.

Le rat semblait s’impatienter.

— Parley, Rat !

Le rat croisa les bras et considéra Silas avec un profond mépris.

— Hum ! Désolé. Cela fait une éternité qu’on ne m’a pas envoyé de rat coursier, dit Silas pour s’excuser. Ah ! Ça me revient... Parley, Rattus Rattus !

— Eh ben, c’est pas trop tôt, soupira le rat. Avant toute chose, reprit-il en se dressant sur ses pattes arrière, l’un de vous porte-t-il le nom de Silas Heap ? (Ce disant, il regardait Silas avec insistance.)

— Oui, moi.

— Je l’aurais parié. Vous répondez trait pour trait à la description.

Il toussa d’un air important, se redressa un peu plus et mit ses pattes avant derrière son dos :

— On m’a chargé de transmettre un message à Silas Heap. Il m’a été remis ce matin à huit heures par une certaine Sarah Heap, résidant à la maison de Galen. En voici le texte :

 

Silas, mon chéri (et ]enna, ma grenouille, et aussi Nicko, mon ange),

J’espère que le rat que je vous envoie vous trouvera sains et saufs chez Zelda. Depuis que Sally nous a dit que le Chasseur vous traquait, cette idée n’a cessé de me trotter par la tête, si bien que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Au matin, j’étais désespérée, pensant que vous aviez tous été capturés (même si Galen m’avait assurée du contraire), mais ce cher Alther est venu nous voir dès l’aube pour nous faire part d’une merveilleuse nouvelle : vous aviez réussi à fuir. Il a dit que la dernière fois qu’il vous avait vus, c’était à l’entrée des marais de Marram. Il regrettait de n’avoir pu vous accompagner. Silas, il s’est produit un grand malheur. Simon a disparu en route. Nous marchions sur le sentier qui longe la rivière pour nous rendre dans la partie de la Forêt où habite Galen quand j’ai constaté son absence. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui a pu lui arriver. Nous n’avons pas rencontré de garde, et aucun de nous ne l’a vu ni entendu partir. J’ai très peur qu’il soit tombé dans un piège tendu par une de ces horribles sorcières. Nous allons le rechercher aujourd’hui.

Les gardes ont incendié l’établissement de Sally, mais elle est parvenue à échapper aux flammes. Elle ignore comment, mais elle nous a rejoints ce matin et m’a chargée de remercier Marcia pour le talisman. En fait, nous lui sommes tous très reconnaissants de sa générosité. Silas, merci de me renvoyer le rat afin qu’il me donne de vos nouvelles. Nous vous aimons tous beaucoup et pensons bien à vous.

Ta Sarah.

 

Fin du message !

Épuisé, le rat se tassa sur le rebord de la fenêtre.

— Mon royaume pour une tasse de thé, gémit-il.

— Il faut que je retourne auprès de Sarah et que je l’aide à retrouver Simon, déclara Silas, en proie à une vive agitation. Qui sait ce qui a pu lui arriver ?

Tante Zelda s’efforça de le calmer. Elle apporta deux tasses de thé chaud et sucré, une pour le rat et une pour Silas. Le rat vida sa tasse d’un seul trait alors que Silas, la mine lugubre, toucha à peine à la sienne.

— Simon n’est pas une mauviette, papa, dit Nicko. Il s’en sortira. Il a dû s’égarer. Je suis sûr qu’il est déjà rentré à l’heure qu’il est.

Silas ne parut pas convaincu.

Tante Zelda jugea opportun d’annoncer le dîner. En général, les repas qu’elle mitonnait avaient le pouvoir de distraire les convives de leurs soucis. D’un naturel hospitalier, elle aimait réunir autour de sa table autant d’invités qu’elle pouvait en accueillir. Si ceux-ci appréciaient toujours sa conversation, les plats qu’elle leur servait mettaient leur imagination à rude épreuve. L’adjectif qu’ils employaient le plus couramment pour les décrire était « original » : « Cette tourte aux choux était tout à fait... originale. Je n’en aurais jamais eu l’idée. » Ou encore : « Ma foi, c’est original de servir les anguilles avec de la confiture de fraises. »

Afin de lui changer les idées, elle chargea Silas de mettre la table et invita le rat coursier à se joindre à eux.

Ce soir-là, tante Zelda leur servit une gibelotte de lapin et de grenouille accompagnée de pieds de navets deux fois bouillis et suivie d’un délice aux cerises et aux carottes sauvages. 412 fit honneur au repas (un véritable festin comparé à l’ordinaire de la Jeune Garde) et reprit deux fois de chaque plat, pour le plus grand bonheur de leur hôtesse. Elle n’avait pas l’habitude de voir ses invités se resservir, à plus forte raison une seconde fois.

Nicko était ravi de voir 412 manger avec autant d’appétit. De ce fait, tante Zelda ne remarqua pas que lui-même avait aligné des morceaux de grenouille sous son couteau - ou si elle le remarqua, elle ne s’en formalisa pas. Soulagé, il en profita pour refiler à Maxie l’oreille de lapin qu’il avait pêchée entière dans son assiette, à la grande satisfaction du chien.

Marcia avait prévenu que ni elle ni Jenna ne paraîtraient à table, prenant prétexte de la présence du rat coursier. Silas trouvait l’excuse un peu faible et la soUpçonnait de concocter en douce quelques bons petits plats à l’aide d’un sortilège.

Malgré, ou peut-être grâce à l’absence de Marcia, le dîner se passa fort agréablement. Le rat coursier savait captiver un auditoire. Silas n’ayant pas pris la peine de défaire le sort qu’il lui avait jeté (« Parley, Rattus Rattus »), il se montrait intarissable sur les sujets qui lui tenaient à cœur, depuis le manque de savoir-vivre de la jeune génération de rats jusqu’au scandale qui avait suivi la découverte de saucisses de rat à la cantine de la garde du palais, suscitant l’émoi de toute la communauté des rongeurs, sans parler des gardes eux-mêmes.

Vers la fin du repas, Zelda demanda à Silas s’il avait l’intention de renvoyer le rat à Sarah ce soir-là.

Cette perspective semblait inquiéter le rat. Même s’il était un grand garçon capable de se « débrouiller tout seul », comme il aimait à le claironner, il ne tenait pas particulièrement à traîner dans les marais de Marram en pleine nuit. Les ventouses d’une nixe pouvaient être fatales à un rat de son espèce, et ni les bobelins ni les boggarts ne figuraient parmi ses compagnons de prédilection. Les bobelins étaient capables d’entraîner un rat dans les fagnes rien que pour s’amuser, et un boggart affamé aurait été trop heureux de servir un ragoût de rat à ses enfants - des petits monstres voraces, de l’avis du rat coursier.

(Bien entendu, le boggart ne s’était pas joint à eux pour dîner. Ce n’était pas dans ses habitudes. Il préférait déguster les sandwichs au chou bouilli que lui préparait tante Zelda dans la quiétude de sa flaque de boue. Pour sa part, cela faisait une éternité qu’il n’avait pas mangé de rat. Il n’en appréciait guère le goût, et les minuscules os restaient coincés entre ses dents.)

— J’étais justement en train de me dire qu’il vaudrait mieux le renvoyer demain matin, déclara Silas. Il a fait un long voyage et souhaite certainement se reposer.

Le rat parut soulagé :

— Une sage décision, monseigneur. Plus d’un message s’est perdu faute de repos et d’un bon dîner. Je dois dire que celui-ci était fort... original, chère madame.

D’un signe de la tête, il remercia tante Zelda qui lui sourit :

— Tout le plaisir était pour moi.

— Ce rat est-il assermenté ? interrogea la poivrière avec la voix de Marcia.

Tout le monde sursauta.

— Tu pourrais prévenir avant de projeter ta voix, protesta Silas. J’ai failli avaler une carotte de travers.

— Est-ce qu’il l’est ? insista la poivrière.

— Es-tu assermenté, oui ou non ? demanda Silas au rat qui, pour une fois, restait sans voix.

Ne sachant s’il devait répondre à Silas ou à la poivrière, le rat opta pour cette dernière :

— Tout à fait, mademoiselle Poivrière. Je suis un rat long-courrier assermenté, pour vous servir.

— Dans ce cas, j’arrive.

Marcia dévala l’escalier, son livre à la main, et traversa la pièce telle une tornade, balayant le sol de sa cape et renversant plusieurs fioles de potions au passage. Jenna trottinait derrière elle, impatiente de voir enfin un rat coursier.

— Qu’est-ce que c’est petit ici ! se plaignit Marcia en frottant sa cape pour effacer les traces multicolores laissées par les Mélanges Miroitants de Zelda. Comment peut-on vivre dans un endroit pareil ?

— J’y arrivais très bien avant que tu débarques, grommela Zelda entre ses dents pendant que Marcia prenait place à côté du rat coursier.

Celui-ci devint tout pâle sous sa fourrure. Même dans ses rêves les plus fous, il n’avait jamais imaginé s’asseoir un jour auprès de la magicienne extraordinaire. Il s’inclina très bas, si bas qu’il perdit l’équilibre et tomba dans le reste de délice aux cerises et aux carottes sauvages.

— Silas, je veux que tu raccompagnes ce rat, annonça Marcia.

— Quoi ? Maintenant ?

— Je ne suis pas habilité à transporter des passagers, Votre Honneur, objecta le rat d’un ton hésitant. En fait, Votre Grâce, et ce malgré l’immense respect que je...

— Silentium, Rattus Rattus !

Le rat ouvrit et referma plusieurs fois la bouche, avant de comprendre qu’il n’en sortait aucun son. Il se rassit alors et lécha sans enthousiasme les miette de dessert sur ses pattes. Il était forcé de patienter. En effet, un rat coursier ne pouvait s’en retourner sans une réponse ou un refus de répondre. N’ayant reçu ni l’un ni l’autre, en bon professionnel qu’il était, il se prépara à attendre et songea avec amertume à la réaction de sa femme ce matin-là, quand il lui avait annoncé qu’il partait délivrer un message à un magicien.

— Stanley, lui avait dit Dawnie, à ta place, j’éviterais ces gens-là comme la mort-aux-rats. Rappelle-toi le mari d'Elli : une petite grosse à la tour lui a jeté un sort et il s’est retrouvé dans une marmite, baignant dans la sauce d'un ragoût. Il n'est rentré que deux semaines plus tard, et dans quel état ! Stanley, par pitié, n'y va pas.

Mais Stanley était secrètement flatté que le Bureau l'ait chargé d'une commission en dehors du Château, surtout pour un magicien. Cela le changeait de la routine. Il venait de passer une semaine à jouer les intermédiaires entre deux sœurs qu'une querelle opposait. Au fil des jours, leurs messages étaient devenus de plus en plus laconiques et injurieux. La veille, son travail avait consisté à courir d'une sœur à l'autre sans dire un mot, chacune souhaitant faire savoir à l'autre qu'elle ne voulait plus lui parler. Il avait été fortement soulagé quand la mère des deux filles, horrifiée par le montant de la facture que lui avait adressé le Bureau, avait subitement résilié son contrat.

Aussi était-ce d'un cœur léger que Stanley avait répondu à son épouse que le devoir l'obligeait à partir.

— Après tout, avait-il ajouté, je suis un des rares rats long-courriers assermentés du Château.

— Et aussi un des plus bêtes, lui avait-elle rétorqué.

Assis sur la table parmi les restes du repas le plus étrange qu'il avait jamais mangé, Stanley écoutait à présent la magicienne extraordinaire (il ne l'imaginait pas aussi revêche) donner des ordres au magicien ordinaire. Elle jeta le livre sur la table avec une telle force que les assiettes s'entrechoquèrent.

— J'ai parcouru L'Art de vaincre la Ténèbre, un ouvrage inestimable. Je regrette de ne pas en avoir un exemplaire à la tour, dit-elle.

Ce disant, elle tapotait la couverture du grimoire d'un air approbateur. Se méprenant sur ses intentions, celui-ci fila telle une flèche pour reprendre sa place dans la pile de livres de Zelda, ce qui n'arrangea pas l'humeur de Marcia.

— Silas, je veux que tu ailles récupérer mon talisman auprès de Sally. Nous en avons besoin ici.

— D'accord.

— Silas, tu dois y aller maintenant. Notre sécurité en dépend. Sans lui, j'ai moins de pouvoir que je le croyais.

— J’ai dit d’accord, Marcia, fit Silas, absorbé dans ses pensées au sujet de Simon.

— En tant que magicienne extraordinaire, je t’ordonne d’y aller, insista Marcia.

— Ça va, ça va ! J’ai compris. De toute façon, je n’avais pas l’intention de rester. Simon a disparu. Je pars à sa recherche.

— Bien ! (Comme d’habitude, Marcia n’avait pas écouté un traître mot de ce qu’avait dit Silas.) A présent, où est ce rat ?

Le rat, toujours muet, leva la patte.

— Ton message est ce magicien. Retour à l’expéditeur. Compris ?

Stanley hocha la tête d’un air hésitant. Il aurait aimé dire à la magicienne extraordinaire que sa requête allait à l’encontre du règlement. Les rats coursiers n’acheminaient pas de paquets, qu’ils soient humains ou non. Il soupira. Que n’avait-il écouté son épouse !

— Tu t’assureras que ce magicien arrive sain et sauf à destination en employant les moyens idoines. Compris ?

Stanley acquiesça de mauvaise grâce. « Les moyens idoines » ? En clair, cela voulait dire qu’il ne fallait pas compter que Silas remonte la rivière à la nage ou fasse un bout de la route dans la sacoche d’un colporteur. Quelle déveine !

Le magicien vint au secours du rat :

— Inutile de me traiter comme un vulgaire colis. Je prendrai un des canoës. Le rat montera avec moi et m’indiquera le chemin.

— À ton aise. Mais je veux qu’il me confirme que la commande a bien été enregistrée. Parley, Rattus Rattus.

— Votre commande a bien été enregistrée, dit Stanley d’une voix à peine audible.

Silas et le rat coursier partirent le lendemain au lever du jour, à bord de la Muriel 1. Le haar s’était dissipé pendant la nuit et des ombres immenses s’étendaient sur les marais dans la clarté grise de l’aube.

Jenna, Nicko et Maxie s’étaient levés tôt pour dire au revoir à Silas et lui confier des messages destinés à Sarah et aux garçons. L’air glacial transformait leur haleine en petits nuages blancs. Silas s’enveloppa dans son épais manteau de laine bleue et releva sa capuche. Debout à ses côtés, le rat coursier était secoué de légers frissons, et pas seulement à cause du froid : il entendait juste derrière lui le souffle rauque de Maxie que Nicko retenait fermement par son foulard et, comme si cela ne suffisait pas, il venait d’apercevoir le boggart.

— Ah ! Boggart, s’exclama tante Zelda, tout sourires. Tu es bien aimable d’avoir veillé aussi tard. Voici des sandwiches pour te sustenter. Je les dépose dans le canoë. J’en ai également préparé pour le rat et toi, Silas.

— Oh ! Merci, Zelda. Qu’as-tu mis dedans, au juste ?

— De l’excellent chou bouilli.

— Ah ! C’est très... gentil de ta part.

Silas se réjouissait d’avoir glissé un peu de pain et de fromage dans sa manche.

Le boggart flottait à la surface du fossé, la mine renfrognée. L’allusion aux sandwichs n’avait pas suffi à l’amadouer. Il détestait sortir le jour, même en plein hiver. Ses yeux myopes supportaient mal la lumière et il risquait un coup de soleil sur les oreilles s’il n’y prenait garde.

Le rat coursier se faisait tout petit sur la berge, coincé entre l’haleine du chien et celle du boggart.

— Monte, lui dit Silas. J’imagine que tu voudras t’asseoir devant. C’est la place préférée de Maxie.

— Je ne suis pas un chien, répliqua Stanley d’un air pincé. Et je n’ai pas pour habitude de voyager avec des boggarts.

— Celui-ci est inoffensif, lui assura tante Zelda.

— Il n’existe pas de boggart inoffensif, marmonna Stanley.

Apercevant Marcia qui sortait de la maison pour saluer Silas, il se tut et jugea plus sage de sauter dans le canoë pour se cacher sous le banc.

— Sois prudent, papa, dit Jenna en serrant Silas dans ses bras.

Nicko l’étreignit à son tour :

— Retrouve Simon, papa. Et n’oublie pas : quand tu remonteras la rivière, serre la berge au plus près. Le courant est toujours plus fort au milieu.

— Je n’y manquerai pas. Quant à vous deux, pre-nez bien soin l’un de l’autre. Et de Maxie.

— Au revoir, papa !

Maxie se mit à geindre et japper quand il comprit, à son grand désespoir, que Silas avait bien l’intention de le laisser.

— Au revoir !

Silas agitait la main tout en guidant tant bien que mal le canoë, tandis que le boggart lançait sa sempiternelle question : « Ça suit ? »

Le canoë s’éloigna lentement, suivant les méandres du fossé, avant de se perdre dans l’immensité des marais de Marram. Nicko et Jenna l’accompagnèrent du regard tant qu’ils purent distinguer la capuche bleue de Silas.

— J’espère que papa s’en sortira, murmura la petite fille. Il n’a aucun sens de l’orientation.

— Le rat coursier veillera à ce qu’il arrive à bon port, affirma Nicko. Il sait que dans le cas contraire, il devrait rendre des comptes à Marcia.

Assis dans le canoë au cœur des marais de Marram, le rat coursier ne quittait pas des yeux le premier paquet qu’on lui avait jamais confié. Il avait décidé de ne pas en parler à Dawnie ni à ses supérieurs du Bureau. Tout cela n’est pas très régulier, pensa-t-il en soupirant intérieurement.

Mais au bout d’un moment, alors que le canoë progressait lentement à travers le dédale de canaux qui formaient le marais, il commença à entrevoir le bon côté de la situation. Il avait un moyen de transport assuré jusqu’à destination et n’aurait qu’à raconter des histoires et profiter de la ballade pendant que Silas ferait tout le travail.

Il était résolu à s’en tenir à ce plan quand Silas dit au revoir au boggart au bout de la passe de Deppen et entreprit de remonter la rivière pour rejoindre la Forêt.

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